Le défilé du 14 juillet

Pour la Patrie, les Sciences, et la Gloire

Comme le veut la tradition, l'École Polytechnique a défilé sur les Champs-Élysées lors de la cérémonie du 14 juillet 2002. Je vous propose de vous plonger dans les coulisses de cet événement.

Au courant du mois de juin a eu lieu dans chaque compagnie d'élèves un appel aux volontaires : "êtes vous très fana, moyennement fana, ou peu fana pour défiler le 14 juillet ?". En effet, tous les élèves ne défilent pas. Parmi les 400 élèves français et 40 élèves étrangers de ma promotion (la 2000 ; les deuxièmes années), seuls 2 pelotons de 12 fois 12 élèves, plus la garde au drapeau (soit 294 élèves en tout) vont représenter l'École. Les élèves qui ne souhaitent pas défiler, pour des questions d'emploi du temps (ils sont déjà en stage par exemple), de conviction ou autre, ne sont pas rares. Alors seuls 310-320 élèves environ participent aux entraînements.
NB : il n'y a aucun avantage en terme de traitement, de notation, ou quoi que ce soit, qui pousse les gens à défiler ; c'est uniquement une question de tradition et de patriotisme.

Les entraînements ont commencé le vendredi 5 juillet, clôturant une semaine de pâles 1. Après la diffusion du "vidéogramme" qui expliquait le déroulement de la cérémonie, et la présentation de l'emploi du temps de la semaine de répétition, les commandants de peloton ont formé les toits. Le toit est une disposition par ordre de taille décroissant, le plus grand allant dans le coin devant à gauche, les suivants remplissent ensuite les diagonales nord-est sud-ouest, etc., jusqu'au plus petit qui se place derrière à droite. Opération marketing, les filles font leur propre toit en tête du peloton. Il y a 12 lignes et 12 colonnes par peloton.

Présentez ... ArmesOn nous rappelle les consignes habituelles : ponctualité, tenue impeccable, cheveux courts, rasés impeccablement, épées lustrées, bottines cirées, ... avec insistance sur le fait qu'il y a encore davantage de volontaires que de places pour le défilé, et qu'il y aura désignation d'un certain nombres de remplaçants.
Puis vient la répétition des ordres statiques (il s'agit de faire en sorte que chacun tienne son épée droite, et que tout le monde la présente et la repose en même temps), et enfin quelques pas de défilé pour commencer à repérer les psychos 2 qui balancent les bras à contre-temps.

Répétition à SatoryÀ partir du lundi 8, les répétitions ont lieu au camp militaire de Satory (78), car celui-ci dispose d'une piste qui adopte la même configuration que les Champs-Élysées (en particulier elle se divise en deux à son extrémité, comme lors du passage devant la tribune). Comme nos commandants de compagnie ont du s'en rendre compte lors de leur premier passage en éclaireur, elle ne présentait aucun piège : c'est tout droit sur 600m.

Satory est à environ 40 minutes de bus depuis l'X, le départ a lieu vers 8h30, après avoir rappelé que les retardataires du lendemain seront nominés remplaçants.
Lundi et mardi l'entraînement a lieu le matin, et consiste en quelques passages sur cette piste, avec éclatement au bout, et retour en bordel couvrez. Le but est d'apprendre la "cohérence d'ensemble".
La musique est assurée par le camion du STYX, la compil choisie par le commandant de promotion ; par la suite, la musique du défilé est diffusée dans des hauts-parleur le long de la piste.
Nous sommes presque seuls à Satory, seuls une unité de gendarmes répète aussi ces matins-là. Le retour a lieu vers 11h30.

La météo est clémente, et nous espérons vivement qu'elle le reste jusqu'à dimanche. Nous avons en tête les images de l'an dernier, où nos Vieux Chouffes 3ont défilé sous de fortes pluies.

Mercredi et jeudi, les répétitions ont lieu l'après midi. Elles rassemblent davantage de troupes, et ont lieu sous l'oeil attentif du général commandant le défilé. On répète la revue des troupes (le passage du président de la république), puis le défilé. Levez la tête, levez la tête, nous sommes filmés. Le visionnage de la vidéo et le débriefing qui s'en suit est très long ; pendant ce temps nous regagnons notre coin d'herbe sous les sifflets des Cyrards 4 (morts de rire, nous nous rendons compte qu'en fait si, ils méritent bien leur réputation) et nous asseyons par terre (sauf quelques irréductibles), attitude typiquement polytechnicienne (les militaires ont l'habitude de rester debout dans ces cas là, et effectivement toutes les autres unités restent debout).
Le résultat du débriefing : c'est très bien. Cela valait bien le coup d'attendre si longtemps... Deuxième passage, même modus operandi, mêmes conclusions, retour aux cars. De retour sur le platal 5, visionnage de la cassette : on voit une image cryptée ; rien à faire, la bande n'est pas lisible.

Il est de tradition que les Polytechniciens organisent un gag pendant le défilé. Les plus célèbres sont le défilé avec un bouquet de cresson, en hommage à la premier ministre de l'époque, et le déposer d'une tenue de St-Cyr sur la route, forçant les élèves de cette école (qui défilent juste derrière) à piétiner leur propre uniforme. Les élèves se sont un peu assagi suites à des réprimandes venant de très haut, et il n'a pas vraiment été question de gag cette année.

Les élèves de West PointVendredi a lieu la répétition générale, avec toutes les troupes à pieds. La tenue est la même que le reste de la semaine : chemisette, pas de grand uniforme. Le temps devient menaçant comme le ton du capitaine, qui n'a toujours pas éliminé les 13 remplaçants.
La musique sur laquelle nous allons défiler est un peu inhabituelle ; c'est une musique à la sauce américaine, en hommage aux invités d'honneur de cette année : les américains de West Point. Leurs cadres donnent les ordres en langue française, ce qui est plutôt comique à cause de l'accent. Les américains ne se rangent pas en toit, et portent pas moins de cinq drapeaux.
D'abord la revue de troupe, tenir l'épée et rester immobile pendant un bon moment. Puis le défilé : comme d'habitude le départ se fait en accordéon, puis nous prenons le rythme, levons bien la tête, nous alignons dans les rangées, pour arriver en apothéose devant la tribune. La répétition en elle-même nous prend un quart d'heure, mais dure toute une demi-journée. "À l'armée on ne fait pas grand chose, mais on le commence tôt et on le finit tard" dixit notre commandant de promotion.

La solution est trouvée pour les remplaçants : le second peloton comportera une treizième rangée. Ca fait douze heureux, et un malheureux qui a été écarté discrètement.

Le samedi est consacré à faire briller nos épées et cirer nos bottines. Il faut aussi faire nos bagages, puisque nous sommes priés de libérer nos chambres dans les heures suivant le retour du défilé, vacances obligent.

Dimanche 14 juillet : le grand jour.
ReposRéveil à 5h, rassemblement à 5h45 pour la présentation au drapeau. La présentation au drapeau est une tradition bien mytho 6 dont le principe est de dire officiellement bonjour à notre drapeau avant de le sortir. Et il faudra aussi lui dire au revoir drapeau avant de le ranger ; quelques présentez armes suffiront. Départ à 6h15 précises. Petit arrêt à Paris avant les Champs-Élysées, pour respecter le timing très précis qui a été établi pour l'arrivée des bus. Nous arrivons vers 7h40, pas mal de spectateurs se trouvent déjà sur les lieux. Il y a des barrières tout le long, et des policiers tous les 10m. On voit aussi des agents de sécurité sur les toits. Nous repérons nos emplacements, avons droit à un garde à vous présentez armes car nos charmants voisins de la légion n'ont pas eu la présence d'esprit de dire bonjour à leur drapeau avant de partir, donc le font maintenant, nous imposant ainsi d'en faire autant. Puis nous avons quartier libre jusqu'à 8h45. Les prévoyants qui ont un peu d'argent sur eux entrent dans un café, d'autres partent à la recherche de papa maman, certains enfin restent sur place (il n'est par contre pas question de s'asseoir !), surtout que notre tenue ne nous permet pas de nous promener discrètement dans la foule.

Le Président de la RépubliqueVers 9h les choses sérieuses commencent. On se range en peloton sur la droite des Champs, et restons au immobiles et silencieux au repos pendant une bonne demi-heure. Puis un haut-parleur crache les ordres, les troupes se mettent au présenter armes. Le gouverneur militaire de Paris procède à l'inspection des troupes. Après son passage, nous reposons nos épées. Pas fâchés, elles commençaient à peser. Deuxième passage un peu après, encore plus long, de la garde républicaine suivie par le Président de la République. Ensuite recommence une longue attente au repos.
En avant ... marche Vers 10h enfin mise en place pour le défilé : le peloton avance de quelques pas, puis fait un quart de tour à droite pour se mettre dans le sens de la marche, et marque le pas sur la musique. Ca fait du bien de bouger un peu les jambes. Le départ se fait à nouveau en accordéon ("ça vient de devant"), c'est à dire qu'on avance puis restons sur place plusieurs fois, avant de partir pour de bon. Nous sommes distraits pendant notre marche par les avions de l'armée de l'air qui nous survolent, et le crottin des chevaux de la garde présidentielle. Vu de ma place (premier position, sur le bord gauche, au milieu) tout se déroule correctement. En fait on a une vision assez réduite, car il est interdit de bouger la tête, sauf pour la lever davantage. Le parcours est plus long que la piste de Satory, mais la foule enthousiaste sait nous encourager. Notre concentration redouble à l'approche de la tribune présidentielle, l'éclatement se passe sans problème, puis soulagés nous poursuivons en direction des bus, sous le regard surpris des parisiens et touristes que nous croisons qui n'assistaient pas au défilé. Les bus n'étaient pas tout près, il n'y avait plus de musique pour donner le pas, et la lassitude gagnait.
Nous échappons au "au revoir drapeau", vu que le drapeau était parti sur le côté droit, et regagnons l'école vers midi.

    

C'est là que nous apprenons des élèves du second peloton la "mésaventure" arrivée à l'un d'eux, qui a perdu et rattrapé de justesse par deux fois son épée devant la tribune présidentielle, ce qui l'a désorganisé ainsi que ses voisins, et n'est pas passé inaperçu dans le public. Il paraît qu'heureusement la télé n'a pas montré ces images, mais cela gâchera un peu la prestation de l'Ecole.
Nous n'avons pas eu de réaction de nos cadres, vu que nous ne les avons plus revus.

Nous n'avons absolument rien remarqué de l'attentat contre le Président, que nous avons appris bien plus tard par les médias.

 

1 pâle : contrôle, examen
2 psycho : le "maillon faible" du peloton
3 Vieux Chouffes : prédécesseurs, élèves de la promotion précédente
4 Cyrard : élève de l'ESM St-Cyr
5 Platal : notre campus
6 Mytho : militaire jusqu'au bout

Photos : SAV Ecole polytechnique; J.L. Deniel


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